LES
GARDES EN KENDO
Lorsque
le pratiquant fait ses premiers pas en Kendo, une des premières notions
qu'Il apprend (pour ne pas dire la première) est le Chudan-no-kamae
autrement dit la position en garde "moyenne". Cette garde est
aujourd'hui la plus pratiquée y compris en compétition et elle doit en être
présentée au cours des examens de passage de grade. Ce n'est toutefois pas la
seule garde pratiquée en Kendo et nous nous proposons d'illustrer la
richesse du Kendo dans ce domaine par la description des principales
gardes.
I.
CHUDAN NO KAMAE
Cette
garde présente de très nombreux avantages qui en expliquent la popularité,
(1)
La posture est naturelle et ne requiert aucun effort particulier. Elle
est donc relativement facile à acquérir (du moins dans la forme sinon sur le
fond) par des débutants.
(2)
En avançant
d'un pas il est possible de "pénétrer" dans la garde de l'adversaire
et de porter une attaque en un seul pas (Issoku-itto). La préparation de
l'attaque est donc réduite, la garde en elle-même constituant déjà une phase
avancée du processus d'assaut (nous verrons plus loin que ce n'est pas forcément
le cas dans d'autres types de gardes). A titre d'exemple on se souviendra qu'il
suffit, en théorie du moins, d'avancer d'un pas sans bouger les mains de
façon sensible pour faire Tsuki.
(3)
Cette garde constitue aussi une garde défensive en raison de la menace
que fait peser la pointe du Shinal
dirigée vers la gorge de l'adversaire, mais aussi parce qu'un léger
mouvement des poignets permet de dévier n'importe quelle attaque voire de
contre-attaquer dans le même mouvement (Suriage).
(4)
Cette garde permet de "sentir" physiquement l’adversaire au
travers du contact des pointes de Shinai. En effet les 2 Shinai
visant simultanément le même point chez l'adversaire, ils occupent le même
volume dans l'espace. Il faut donc absolument chasser la pointe du Shinai
de l'adversaire d'une manière ou d'une autre (par exemple en provoquant un
mouvement de recul chez I'adversaire lorsqu'on pénètre dans sa garde ou bien
en profitant d'un instant d'inattention de ce dernier) avant de pouvoir mener un
assaut avec quelque chance de succès.
Cette
souplesse d'utilisation alliée à cette grande polyvalence (Chudan-no-kamae
s'utilise même dans les combats contre le Naginata) sont à l'origine de
sa généralisation dans le Kendo moderne. II est bon de rappeler ici que
ce ne fut pas toujours le cas. Autrefois, le maniement du sabre sur le champ de
bataille ou dans la vie quotidienne ne laissait que peu d'occasions de se mettre
en garde (notons par exemple que, la notion de garde n'existe pas en Iaido sauf
dans certaines formes de Zanshin)
Dans
les textes anciens cette garde est souvent appelée la garde de l'eau (Mizu-no-kamae),
probablement en raison de cette grande souplesse (garde fluide, qui ne
s'accroche pas, qui s'adapte... où I'attaque et la défense s'enchaînent
harmonieusement).
II.
JODAN NO KAMAE
Après
la garde moyenne, la garde la plus utilisée dans le Kendo moderne est la garde haute (Jodan-no-kamae)
dont il existe 2 versions: la garde haute à gauche (Hidari-jodan), la
plus courante, et la garde haute à droite (Migi-jodan), selon que le
pied en avant est le pied gauche ou le pied droit. Les mains sont largement
tendues au dessus de la tête, la main gauche en avant et le Shinai légèrement
décalé de l'axe du corps. La littérature
classique Japonaise appelle cette garde, la garde du feu (Hi-no-kamae)
par comparaison avec les flammes qui s'élèvent (le Shinai en position haute ) mais aussi parce qu'il est
difficile d'approcher le feu de près sans se
brûler
(attaque instantanée) et que le pratiquant doit être aussi
menaçant que
des flammes.
Par
rapport à la garde moyenne, la garde haute présente un certain nombre
d'avantages:
(1)
La garde représente déjà en elle même une phase très avancée
d'attaque (il ne reste qu'à baisser les mains ou plus généralement une main
pour réaliser Men). Il n'est pas nécessaire d'armer avant de frapper.
(2)
Dans cette position il est pratiquement impossible a l'adversaire de
frapper Men et assez difficile de réaliser Kote en raison de la
distance (à condition toutefois de parfaitement maîtriser la distance, le Ma-ai,
très particulier de cette garde).
En
revanche elle présente un certain nombre d'inconvénients qui demandent pour
les surmonter un très haut niveau de Kendo :
(a)
Do et Tsuki
sont très vulnérables,
(b)
Il n'y a pas de contact physique par le biais de la pointe des Shinai.
Le Ma-ai est donc beaucoup plus difficile à apprécier. Cette absence de
contact empêche de sentir son adversaire (la contrepartie positive étant
qu'il ne le peut pas non plus).
(c)
Les déplacements sont plus complexes. Il est important par exemple de
bien maîtriser les déplacements latéraux (Tai-sabaki) pour réaliser Kote
depuis cette garde.
(d)
Les attaques se font essentiellement à une main (Kata-te) qui, si
elles ne requièrent pas une force exceptionnelle, exigent une très grande précision
et un "timing" très fin. En effet il est très facile de parer ou de
dévier une attaque en Kata-te car elle manque en général de puissance.
Il convient donc de frapper avant que l'adversaire ne puisse esquisser le
moindre mouvement de défense ou que son attaque soit déjà trop avancée (elle
est alors difficile à dévier).Le but est alors d'avoir une attitude
suffisamment menaçante pour susciter une réaction d'attaque de l'adversaire et
engager une action aussitôt dés qu'il démarre son assaut (il s'agit donc d'attaques du
style Tobikomi ou Debana). Il va de soi qu’inversement
I'adversaire va chercher à provoquer I'attaque car il pourra aisément la dévier
et contre attaquer. Le pratiquant en garde haute devra donc résister à ces
"provocations" et déceler le vrai début d'attaque. Ceci nécessite
de la part du pratiquant une très forte "présence".
(e)
Il est rarement possible d'enchaîner plusieurs attaques après une
attaque en Kata-te (en raison du problème de reprise en main de la Tsuka).
Le pratiquant est donc très
vulnérable et désavantagé après une attaque manquée contrairement au cas de
la garde moyenne où la reprise de garde peut être instantanée (particulièrement
après Tsuki et Kote) et ne présente
pas de difficultés majeures. Il est donc essentiel, à partir de la garde
haute, de ne porter qu'une
seule attaque et que celle ci soit la bonne.
Cette
garde est extrêmement redoutable lorsqu'elle est bien pratiquée et plusieurs
champions du Japon l’ont adoptée (KAWAZOE, TODA), mais elle nécessite,
outre de la persévérance et une grande résistance physique, des instructeurs
qualifiés.
III.GEDAN
NO KAMAE
Outre
la garde haute il existe aussi une garde basse, Gedan-no-kamae, fort peu
utilisée en Kendo de nos jours. En effet si avec un sabre réel elle
fait peser sur I'adversaire la menace d'une attaque par en bas (type Kesagiri)
extrêmement difficile voire impossible à parer, les règles d'utilisation du Shinai
(seules les coupes du haut vers le bas sont autorisées) limitent l'intérêt de
cette garde. En outre, elle rend le pratiquant très vulnérable sur Kote
interne (Uchi-kote), Tsuki et Men surtout si le pratiquant
ne parvient pas à réaliser dans cette position une menace convaincante.
La
pointe du sabre se dirige vers le sol et vers l'un des genoux de l'adversaire ou
plus simplement dans l'axe du corps
C'est
pourquoi elle est connue aussi sous le nom de garde de la terre (Tsuchi-no-kamae).
C'est sans aucun doute la garde la plus difficile et ce n'est pas un hasard si
la célèbre peinture qui représente
Miyamoto MUSASHI âgé, le montre un sabre dans chaque main dans une garde très voisine de la garde Gedan. En effet, la peinture,
contrairement à ce que l'on pourrait croire au premier abord ne représente pas
Miyamoto MUSASHI au repos car dans ce cas il aurait été représenté les
sabres au fourreau comme c'est généralement le cas dans ce type de portrait.
N'oublions pas en effet la signification attachée au fait de dégainer un sabre
dans les arts martiaux Japonais: on ne dégaine que pour le combat, que pour défendre
sa vie, et si l'on dégaine le sabre aussi dans d'autres occasions, pour en
admirer la lame ou l'entretenir, dans ce cas le fourreau n'est pas passé à la
ceinture, ce qui aurait une signification agressive.
Comme
en garde haute, l'attaque ne peut se concevoir qu'en amont d'une attaque adverse
ou à son tout début, mais on peut dire que cette attaque en amont est encore
un temps en amont de celle utilisée pour la garde haute. En effet en Jodan
le Shinai est déjà armé et I'attaque peut être rapide, alors qu'en Gedan
il faudra de toute façon commencer par armer, ce qui exige une légère avance
sur la décision d'attaque. En outre si en Jodan le Shinai en
position haute, est dans le champ de vision de l'adversaire et lui impose une
menace, en revanche, mais c'est aussi un avantage, en Gedan la pointe du Shinai
est quasiment invisible et cette situation empêche d'en menacer I'adversaire.
La menace doit donc passer totalement dans I'attitude générale, dans le
regard. Actuellement il semble que personne n'utilise plus cette garde en Kendo
par manque d'enseignants compétents d'une part, mais aussi, ce qui est un
corollaire, en raison de sa difficulté.
IV.HASSO
NO KAMAE, WAKI GAMAE
Il
existe encore d’autres gardes, encore moins utilisées de nos jours
mais que l'on retrouve dans le Kendo no kata. Il s'agit de Hasso-no-kamae
et Waki-no-kamae. (ou Waki- gamae) Aucune de ces deux gardes n'est plus pratiquée dans le
Kendo moderne car à l'image de Gedan se sont des gardes très
difficiles à acquérir et à pratiquer.
En
Hasso le pratiquant porte la garde de son Shinai à la hauteur de
sa bouche sur le coté droit,
sabre vertical, pied gauche en avant. Cette garde est très voisine de la garde Jodan
et en pratique la garde Hasso est souvent prise à partir de Jodan.
Dans
cette garde le pratiquant est beaucoup plus vulnérable qu'en Jodan puisque Men, Kote et Tsuki
sont largement découverts. Toutefois cette garde présente l'avantage de
fausser entièrement
le Ma-ai (la distance), car il n'y a pour l'adversaire aucun repère pour la mesurer. Avec cette garde les techniques utilisables sont
essentiellement des techniques du type Ato-no-waza : l'adversaire, abusé
par la distance qu'il apprécie mal, lance une attaque que I'on évite pour enchaîner
aussitôt
une contre attaque. Très statique, cette garde demande aussi une concentration
et la réalisation d'une menace de très haut niveau.
La
dernière garde que nous étudierons Waki-no-kamae permet de cacher le Sabre
derrière soi pour empêcher l'adversaire d'apprécier sa distance de sécurité.
C'est donc une garde tout à fait du même type que
la précédente qui cherche à tromper l'adversaire sur le Ma-ai. La différence
essentielle vient du fait que contrairement à Hasso où le sabre présente tout de même une menace visuelle, ici
il est volontairement caché.
La menace ne peut donc s'exprimer que par I'attitude et le regard. Quant aux
techniques à utiliser, elles sont globalement les mêmes
que celles utilisées en Hasso.
L'origine
de ces deux dernières gardes est assez facile à imaginer lorsque
l'on considère le poids du sabre puisque ces deux gardes permettent une appréciable
économie d'efforts. Avec I'utilisation du Shinai et des combats de courte durée cet avantage n'est plus
aussi évident. D'autre part, contrairement aux apparences, ces gardes
permettent de se déplacer très rapidement d'un point à un autre ou de courir
si nécessaire.
On
pourra à ce titre se
souvenir du film de Kurosawa “les 7 samurai” dans lequel ces 2 gardes sont abondamment
illustrées.
V.
CONCLUSIONS
Pour
résumer, le tableau suivant montre la comparaison des différentes gardes. Le
symbole O que nous avons indiqué dans les colonnes montre que la garde envisagée
est plutôt plus adaptée au critère cité.
Ce tableau met en évidence le fait que dans le Kendo moderne la garde Chudan-no-kamae présente à la fois le plus d'avantages et le moins d'inconvénients. Ce classement serait à revoir en se plaçant, par exemple, dans l'optique du champ de bataille. Dans ce cas la garde la plus adaptée serait sans doute Hasso.
LES GARDES |
CHUDAN | JODAN | GEDAN | HASSO | WAKI |
Attaques possibles | |||||
SHIKAKE WAZA | O | O | O | ||
OKORI WAZA | O | O | O | ||
SEME KOMI WSAZA | O | ||||
HIKI WAZA | O | O | O | ||
HARAI WAZA | O | O | O | ||
KATSUGI WAZA | O | ||||
NUKI WAZA | O | O | O | O | O |
KAESHI WAZA | O | ||||
SURIAGE WAZA | O | O | |||
UCHIOTOSHI WAZA | O | O | |||
Vulnérable sur | |||||
MEN | O | O | O | ||
KOTE | O | O | |||
DO | O | ||||
TSUKI | O | O | O | ||
Appréciation du Maai par l'adversaire | |||||
facile |
O | ||||
difficile | O | O | O | O | |
Menace par : | |||||
la pointe du Shinai | O | O | |||
l’attitude, le regard | O | O | O | O | O |
Mobilité | |||||
grande |
O | O | O | O | |
faible |
O | ||||
Utilisation en Kendo | |||||
courante |
O | ||||
rare |
O | ||||
nulle |
O | O | O |